sex_warsQue peut encore le féminisme pro-sexe en 2017 ? Ce courant est-il devenu obsolète ? N'est-il pas temps d'en pointer les limites pour mieux le réinventer ? C'est la question très sérieuse que je me pose depuis plusieurs mois.

Les guerres générationnelles au sein de mouvements politiques, et a fortiori féministes, sont cycliques. Chaque nouvelle génération critique la précédente, chaque nouvelle féministe fait son matricide en tuant théoriquement les combats de ses aînées. Quand j'avais 18 ans, je pestais contre celles que je nommais «les féministes d'arrière-garde». J'étais moi-même détestée par celles qui avaient l'âge d'être ma mère et qui ne voyaient en moi qu'une petite conne qui n'avait rien à leur apprendre sur le plan théorique. Je me rappelle Elizabeth Badinter qui expliquait en 2002 dans Fausse route qu'elle ne cautionnait pas ce que devenait le féminisme qui selon elle partait à vau-l'eau (d'où le titre). Elle m'y citait d'ailleurs, et pas en bien, je puis vous l'assurer. 

Sauf qu'aujourd'hui, les années défilant, je commence tout doucement à me rapprocher sérieusement de la nouvelle «arrière-garde». Cela fait 18 ans que je me présente médiatiquement comme une féministe pro-sexe et revendique que le droit de disposer de son corps est fondamental. Le territoire du corps est pour moi la base de toute lutte contre le sexisme, c'est là que le patriarcat y exerce son pouvoir avec le plus de violence. Je suis toujours partie du principe que les questions qui entouraient la sexualité (et par extension les violences sexuelles, la contraception, l'IVG, le slut-shaming... mais également les violences obstétriques ou encore l'excision) devaient se situer à l'origine de toute revendication féministe. Et qu'aucun combat prétendument en faveur de la libération des femmes ne pouvaient s'encombrer de considérations morales telles que la condamnation du travail du sexe ou même des représentations sexuelle en général. C'est la raison pour laquelle je me suis revendiquée de ce courant dès la fin des années 90, influencées par les pionnières Annie Sprinkle, Carol Leigh, Candida Royalle, Veronica Vera, Betty Dodson et beaucoup d'autres. Je vous épargne tout l'historique concernant ce que l'on a appelé les «SexWars», vous trouverez aisément de nombreux récapitulatifs sur Internet. À l'origine, ce mouvement était clairement américain, et nous avons été un petit nombre à avoir contribué à «l'importation» de ses théories en France. On peut songer à la sociologue Marie-Hélène Bourcier et son Queer Zones en 2001, Virginie Despentes et son King Kong Theorie en 2006, Wendy Delorme et son Quatrième Génération en 2007 et à mon humble niveau Porno Manifesto en 2002. La question d'une pornographie féministe ainsi qu'un élargissement des perspectives autour du travail du sexe ont trouvé progressivement leur place dans notre univers médiatique. Même si les «luttes des putes» existaient bien avant et que certaines figures telle que Grisélidis Réal étaient déjà connues des médias, on peut remarquer que ce n'est réellement que lors de ce tournant, au début des années 2000, que le terme «travail du sexe» (francisation au «sex work» de Carol Leigh) a commencé à apparaître dans le langage commun.

Chacune a développé ses propres idées, pour ma part les miennes étaient très inspirées d'Annie Sprinkle, travailleuse du sexe durant 18 ans, réalisatrice, artiste «post-porn moderne», activiste éco-sexuelle et j'en passe. Je croyais surtout mordicus à son désormais célèbre «the answer to bad porn isn't no porn, it's to try to make a better porn». Et j'y ai tellement adhéré que cela fait 17 ans que je réalise mes propres films et que je répète tel un mantra les préceptes du féminisme pro-sexe. Sauf que depuis quelques temps je les répète avec de moins en moins de conviction. Certains discours du type «la sexualité libère» me font royalement chier. Non la sexualité ne libère pas. Au mieux elle est un facteur personnel d'épanouissement, au pire elle est un facteur supplémentaire d'oppression. Il est indispensable que chacune d'entre nous puissions gérer notre sexualité comme nous l'entendons. Si nous jouissons, tant mieux, grand bien nous fasse. Si nous ne jouissons pas, il est éventuellement intéressant de questionner notre environnement social afin de détecter son influence éventuelle négative. Mais croire qu'on peut faire la révolution au lit est une aberration.

Est-ce moi qui change ou la société qui évolue ? Les deux mon capitaine, et certaines discussions avec quelques autres «pionnières» de ce courant en France me confirment que je ne suis pas la seule à me remettre en question. Il y a quelques mois Wendy Delorme s'interrogeait dans un de ses posts sur Facebook à propos de l'instrumentalisation du féministe pro-sexe par les islamophobes. Judy Minx a également publié plusieurs posts remettant en question son propre parcours d'actrice. De mon côté, le torchon a sérieusement commencé à brûler à partir du moment où j'ai travaillé sur le documentaire À quoi rêvent les jeunes filles ?, dans lequel je me demandais si nous n'avions pas été récupérées par le Spectacle. Après tout, n'est-ce pas le propre de tout mouvement contestataire d'être tôt ou tard récupéré, englouti, neutralisé par la société spectaculaire ?

C'est la raison pour laquelle aujourd'hui j'ai envie de partager avec vous mes interrogations. J'ai décidé de décliner ce sujet en plusieurs parties et d'analyser les limites de ce courant face à la question du travail du sexe, la pornographie, l'islamophobie, le féminisme «glamour», et l'hyper-érotisation de l'ensemble de notre environnement culturel. Comme tout courant politique, il me semble sain de l'interroger de l'intérieur et de le confronter aux évolutions de la société afin de se demander s'il est toujours à propos ou s'il est au contraire désormais à côté de la plaque.