cagole-forever-documentaire_5800247Arrêtez tout, cessez ce parisianisme qui n'a que trop duré ! La cagole serait l'incarnation ultime de l'empowerment, c'est en tout cas que tend à démontrer Cagole Forever, le documentaire de Sébastien Haddouk. Questionnant le mépris de classe et la stigmatisation des femmes dites «légères», le film tente de réhabiliter cette figure incomprise. Un pari remporté en partie. 

Pour être tout à fait honnête, je ne me suis jamais franchement émue du sort des cagoles. Comme toute parisienne snobinarde, c'est non sans un soupçon de dédain que j'observe leur jupe en lycra, leurs prothèses ongulaires exagérément longues et leurs chaussures en plastique. Pourtant, ce film m'a donné l'occasion de m'interroger sur ce qui m'horripilait tant chez elles et, à la réflexion, je n'ai trouvé que de mauvaises raisons :

- «La cagole est trop vulgaire», au sens étymologique du terme. 
La gouaille, la fascination pour les signes extérieurs de richesse, le «mauvais goût»... Si nous prenons de haut les cagoles c'est avant-tout à cause de leur côté populo. Tellement vrai et Les Marseillais les ont exploitées jusqu'à la moelle et on fait retentir leur accent strident dans tous les postes de télévision de France et de Navarre. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles ne brillent pas spécialement par leur distinction. Mais raisonner ainsi, n'est-ce pas faire preuve d'un certain mépris de classe ? Indubitablement.

La sémiologue Ophélie Hetzel relève ici une opposition sociale classique entre le «bon goût» et le «mauvais goût», ce dernier étant nécessairement du côté du peuple. D'ailleurs, à l'origine, le «cagoulo» provençal désigne un tablier d'ouvrière, nous explique la linguiste Aurore Vincenti. La cagole est donc à l'origine une ouvrière et, a fortiori, une ouvrière qui se prostitue. Elle est la femme qui «cague», la femme impure. Ce qui m'amène au point suivant.

- «La cagole a mauvais genre». 
Des talons trop hauts, des décolletés trop plongeants, des jupes trop courtes... Mais dites-donc, ne serait-ce pas là un bon vieux slut-shaming des familles ? Quand Marie interroge des passants marseillais pour leur demander ce qu'est une cagole, un monsieur âgé lui répond sans hésiter qu'il s'agit d'une «fille un peu légère», d'une fille facile, d'une salope quoi. Et c'est peut-être là que réside ce dégoût de la cagole : une présupposée sexualité débordante, aussi débordante que son rouge-à-lèvre ou que ses seins dans son push-up.

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- «La cagole est trop tape-à-l'œil».
Trop blonde, trop pailletée ou trop maquillée, elle veut se démarquer. Soit. Et ? En regardant Magalie, 50 ans, danser seule au milieu de la foule moulée dans sa robe rouge et perchées sur des talons de 15 centimètres, je me dis qu'au fond elle fait preuve d'un grand courage. J'imagine le flot de réflexions qu'elle encaisse au quotidien, entre les crevards de la rue à l'affut du moindre bout de cuisse, les gens qui estiment qu'à son âge elle pourrait avoir la décence de rentrer chez elle coller son patch aux œstrogènes avant d'aller au lit plutôt que de trainer dans des concerts, et les snobinardes parisiennes de mon espèce qui la regardent de haut. Je réalise que la vrai punk, c'est elle, cette femme qui s'en bat les ovaires de toutes ces considérations sociales.

Mais la meilleure raison d'arrêter de s'en prendre aux cagoles est sans doute la sororité, ce principe qui se perd un peu trop souvent dès que plus de deux filles se retrouvent au même endroit. Certains verront en la cagole une «idiote utile du patriarcat» qui ne fait que se conformer de façon exacerbée aux normes de féminité en se préoccupant en priorité du «paraître» plutôt que du «faire» ou même que de l' «être». Sauf que, cette accusation d' «idiotie utile du patriarcat» est déjà utilisée ad nauseam contre toute femme dont les choix nous dérangent : femmes au foyer, femmes voilées, femmes travailleuses du sexe, pour ne citer qu'elles. Or, on ne le rappellera jamais assez, le féminisme est censé défendre TOUTES les femmes.

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Mon seul doute après avoir regardé ce film ? Ce discours analytique voire revendicatif n'est à aucun moment prononcé par les cagoles elles-mêmes. Comme le fait remarquer Alice Pfeiffer, la cagole n'est pas volontairement féministe, ce n'est que par la force des choses qu'elle se retrouve malgré elle dans une démarche revendicatrice. Aurore Vincenti parle d' «empowerment», Pape J (Massilia Sound System) évoque une possible revanche face une éducation misogyne, mais finalement il s'agit d'un discours SUR la cagole et non émanant DE la cagole. Aucune des femmes filmées n'inscrit sa démarche dans un quelconque mouvement, à l'exception peut-être des supportrices MTP (Marseillaises Trop Puissantes) qui sont les seules à prononcer le mot «féminisme».

Malgré toute cette intéressante réflexion autour du mépris de classe et du sexisme, la cagole demeure à sa place, c'est-à-dire celle de l'apparence et non du verbe. Une situation qui pose problème car, jusqu'à preuve du contraire, la cagole n'est pas déficiente, elle est pleinement en capacité de produire quelque chose de l'ordre de la pensée si elle le souhaite. Et si elle ne revendique rien, c'est peut-être bien parce qu'elle ne souhaite rien revendiquer. Derrière sa «cagolie» (son «cagolisme» ? Sa «cagolité» ?), on ne trouve nulle trace de discours politique ni même aucune revendication de liberté de disposer de son corps. Si nous évoquions le slut-shaming quelques lignes plus haut, la cagole, elle, ne prêche pas spécialement le droit de gérer sa sexualité comme elle l'entend. Au contraire, elle se «défend» d'être une fille facile, elle n'est pas «celle que l'on croit». Aussi, on peut se demander jusqu'à quel point coller un discours politique sur des femmes qui ne se reconnaissent pas dans ces revendications ne relève pas déjà d'une forme d'infantilisation et, in fine, de ce fameux mépris de classe que l'on voulait justement éviter. Preuve que la cagole n'est pas si facile que cela à percer au grand jour et que ses voies demeurent impénétrables. 

++ Cagole Forever, réalisé par Sébastien Haddouk, produit par Lalala Productions, diffusé depuis le 15 février sur Canal+.