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Les tubes se mettent à sponsoriser des associations de protection de l'enfance, et c'est un peu comme si Philip Morris International finançait la recherche contre le cancer du poumon.

Le whitewashing est une méthode marketing qui consiste à faire passer des lobbies industriels pour des enfants de choeur par le biais de dons auprès d'associations caritatives ou d'investissement dans certaines formes de commerce éthique. Ses déclinaisons les plus fréquentes sont le greenwashing pour l'écologie et le pinkwashing pour la récupération de mouvements LGBT. Il s'agit en réalité d'une technique vieille comme le capitalisme : elle permet de faire croire que seul le libéralisme peut remédier aux dommages dont il est responsable. Et si nous sommes habitués à ce genre de procédés avec l'industrie agro-alimentaire, en revanche nous le sommes moins concernant l'industrie pornographique. Aussi, hier matin, j'ai cru que j'allais en recracher mon café par le nez lorsque je suis tombée sur ce tweet :

Tweet

L'ASACP (Association of Sites Advocating Child Protection) annonce sur son site que la compagnie Mindgeek, propriétaire des plateformes Pornhub et Youporn pour ne citer que les plus connues, fait désormais partie de la liste de leurs généreux sponsors. Dans un communiqué accessible sur leur site, l'association tient à exprimer « sa gratitude pour leur volonté de faire d'internet un espace protégé pour les enfants ». J'ai d'abord cru à une plaisanterie. Cela fait dix ans que les tubes nous bombardent de vidéos libres et gratuites, dix ans qu'aucun système de filtrage des mineurs n'est mis en place, dix ans qu'une partie des pornographes eux-mêmes tirent la sonnette d'alarme pour attirer l'attention sur ce grand n'importe quoi... Je vous suggère un rapide coup d'oeil à cet article de Camille Emmanuelle qui résume bien le problème.

Pour vous la faire courte, depuis l'arrivée des tubes, l'accès au porno est devenu frontal et n'importe quel gamin peut avoir accès à des vidéos qui ne lui sont pas destinées sans aucune forme de contrôle. Ces sites, ainsi que ceux des compagnies concurrentes tels que Xhamster ou Xvideos, sont responsables en grande partie de cette hyper-accessibilité par les plus jeunes. L'âge moyen de visionnage du premier porno est tombé à 11 ans, tout le monde sait que les gamins sont confrontés de plus en plus tôt au streaming, or aucun tube n'a décidé de mettre en place un quelconque filtrage. Mindgeek et son armada d'informaticiens auraient eu tout le loisir -et le pognon- de réfléchir à un système de protection, mais non. Pas plus que Xhamster qui se vante sur son blog de s'être récemment opposé à la proposition d'un représentant de l'état de Caroline du Sud de vendre du matériel informatique intégrant un système de blocage par défaut. Le site va même jusqu'à proposer une levée de fonds pour aider les utilisateurs à débloquer leur ordinateur au nom de... « la liberté d'expression » ! À noter que Xhamster revendique à lui tout seul 119 milliards de pages visionnées rien que durant l'année 2016. Il s'agit donc d'un gros joueur de ce business.

Mais revenons à Mindgeek à qui on est à deux doigts de décerner la médaille de la défense des petits enfants. Un rapide coup d'oeil sur Pornhub permet de constater que le site héberge une partie de la filmographie de Traci Lords, dont on sait que la majorité a été tournée alors que celle-ci était mineure (Seul le film Traci, I love you a été tourné après qu'elle eut atteint la majorité). CQFD. 

Traci Lords

Quand les tubes draguent une audience féminine

Ce n'est pas la première fois que Mindgeek fait appel à ce type de stratégie. Un autre de leurs objectifs est d'attirer une audience féminine, à coup de campagne pop et acidulée et de tentative de récupération du féminisme. On se souvient de leur coup d'éclat en 2014 lors de leur campagne publicitaire à Time Square, où une gentille petite chorale avait chanté avec candeur « All you need is hand » :

Ce qu'on sait moins en revanche, c'est qu'à l'occasion de la dernière journée de la femme, Pornhub a tenté de démarcher un certain nombre de réalisatrices féministes afin de leur proposer une collaboration (traduction : héberger leurs vidéos gratuitement en échange d'une exposition). En novembre 2015, plusieurs camarades m'ont informée avoir été démarchées par une certaine « Lex », se présentant comme une « fellow female in the industry » (traduction: comme « Harry, l'ami qui vous veut du bien ») et comme manager des sites Pornhub, Youporn, Redtube et Tube8. Elle leur aurait proposé par mail de « lancer un mouvement qui puisse aider les femmes productrices de cette industrie à se faire connaître » (« to launch a movement to help shine a strong light on female producers in the industry »). Au final l'opération n'a pas donné grand chose, mais on relèvera au passage cette belle tentative de récupération d'un mouvement politique. 

Que retenir de cette affaire ? Comment expliquer que le milieu du porno habituellement si unanimement méprisé par l'ensemble de la société voie émerger des techniques de marketing dignes des plus grandes multinationales ? Sans doute parce que le petit système artisanal, avec ce qu'il avait de touchant mais aussi quelque fois de détestable, a laissé place à des compagnies bien structurées qui optent pour les mêmes règles qui régissent l'ensemble de la société. Finalement, cette démocratisation du porno un temps espérée par les plus farouches opposants au puritanisme sera passée directement par la case ultra-libérale avant même d'avoir pu profiter d'un semblant de liberté. Triste.