55910152_319512028750634_3808192319899828224_nD’autres corps que le mien
Fin 2018, l’Américain The Atlantic proposait une enquête conséquente sur les comportements sexuels des jeunes Américains – soit la génération Y – sous le titre «Pourquoi les jeunes font-ils si peu l’amour ?». Parmi les multiples sujets évoqués autour de cette interrogation, la journaliste Kate Julian évoque la pudeur.

En parallèle de l’explosion des discours pro-sexe et des selfies tous azimuts, les millenials seraient ainsi enclins à la réserve dès qu’il s’agit de leur corps. Signe d’un choc culturel conséquent, les moins de 30 ans porteraient «tous des sous-vêtements sous leur serviette» dans les vestiaires des salles de sport, selon Bloomberg cité par Kate Julian.

De nombreux observateurs ont confirmé cette tendance à la journaliste américaine, de même qu’un ensemble de personnes concernées. Non seulement les jeunes baiseraient moins (aux États-Unis mais aussi au Royaume-Uni, en Australie – et je ne te parle même pas des 18-34 ans japonais dont près de 50% se déclarent vierges en 2016), mais ils auraient tendance à montrer de la retenue concernant leur corps, et ce même dans la relation amoureuse. À l’ancienne, donc – du genre pas de pipi devant chéri(e) alors qu’ils viennent de se léchouiller dans tous les sens.

Culs plats et cuisses de poulet
Quand j’étais gamine, on se retrouvait deux à trois fois par semaine dans des vestiaires unisexes. Il y avait celle, plus timide, qui s’arrangeait pour se tenir à l’écart, celle qui s’enfermait dans les toilettes pour enfiler son short quand elle avait ses règles. C’était l’occasion de croiser d’autres corps : des gros seins, des aréoles foncées, des culs plats, des cuisses de poulet. On se disait des trucs sur nos règles, sur nos poils, on regardait en coin la poitrine 90B de la copine en se disant waouh – le tout avec ce qu’on nommerait aujourd’hui de la bienveillance – un truc qui, à l’époque, nous semblait juste normal.

Si ces épisodes de vestiaires m’ont laissé un souvenir puant, c’est bien d’un point de vue littéral – ça sentait fort la chaussette et la sueur. Parce que sinon, c’était un moment qui pouvait être plutôt marrant, où la parole était libre quoique non didactique (pas d’autorités pour nous dire comment faire, pas de mecs qui auraient rigidifié l’ensemble). Les corps faisaient leurs trucs de corps avant et après le sport – se préparer, se laver, se masser –, et leurs différences émergeaient parfois au travers de quelques mots, avant de se fondre dans le paysage.

Tu me diras, j’ai peut-être eu de la chance d’être bien entourée. J’imagine que les vestiaires peuvent être le lieu de regards torves, de moqueries en tous genres. Mais je continue de penser que se retrouver face à d’autres corps en dehors de tout contexte érotique (sport, soirée pyjama, etc.) reste un moyen simple d’appréhender l’autre dans sa diversité. De déboulonner les injonctions qui voudraient que tes grandes lèvres soient comme ceci, que ta bite mesure tant – et même : qu’une «vraie» femme a nécessairement un clito entre les jambes, qu’on reconnaît un homme au fait qu’il bande.

Grandir avec différents modèles sous les yeux, c’est ouvrir son champ des possibles. Ne pas être dans le jugement de soi ni de l’autre. Esthétiquement et fonctionnellement. Il faut le dire et le répéter : nous pétons, nous saignons chaque mois, nous coulons quand on nous chatouille le point P ou les tétons. Tu peux tourner le truc dans tous les sens : c’est aussi ça que nous partageons. Et le fait d’être à l’aise avec ses formes, ses poils, ses fluides, sa bite et son couteau, permet d’entrer dans le plaisir, seul ou accompagné, piece of cake. Du gâteau (miam).