image-à-la-une-Lallab-Manifestation-féministe-11-mars-500x350Je n’ai pas voulu réagir à chaud lors de la « polémique Lallab » - appelons-là ainsi- d’abord parce que tout le monde s’écharpait sur les réseaux sociaux et que j’ai horreur de la foire d’empoigne. Des débats qui auraient pu être intéressants étaient perturbés par les trolls et par des mecs qui expliquaient aux militantes ce que devait être le féminisme, j’ai préféré me tenir à distance. On m’a proposé de faire partie des signataires de la tribune qui réclamait qu’on foute la paix à ces militantes, j’ai accepté, et le simple fait d’avoir apposé ma signature m’a valu un flot de remarques désagréables. Cela m’a donné un avant-goût de ce que ces femmes se prennent quotidiennement dans la poire. Si on me cherche à moi des noises pour un simple nom parmi d’autres en bas d’un texte, j’imagine le torrent d’insultes et de menaces auxquels elles doivent faire face.

Je ne connais pas personnellement les militantes de Lallab, je ne connais que leurs revendications publiques et, vu de loin comme ça, ben… c’est une asso féministe, quoi. Je ne suis sans doute pas raccord à mille pour cent mais on s’en fout totalement, c’est une asso féministe point barre. On me dit que Lallab est le cheval de Troie de l’intégrisme musulman. Ah. Par acquis de conscience j’ai demandé à quelques personnes qui les connaissaient ce qu’elles en pensaient et, sans surprise aucune, elles m’ont confirmé que c’était des ragots de chiottes. Je n’ai pas été étonnée. Vous savez pourquoi ? Parce que c’est toujours comme ça. À chaque fois qu’une personne ou un groupe émet une parole féministe dissonante, un propos divergent, on sort la théorie du groupe d’hommes qui tirent les ficelles.

Je vais vous donner un exemple qui a à la fois rien à voir et tout à voir avec Lallab. Rappelez-vous de la sale période de débats médiatiques autour de l’adoption du modèle nordique visant « éradiquer » (LOL) la prostitution en France. De nombreuses voix de travailleur-se-s du sexe s’étaient faites entendre pour expliquer à quel point cette loi était problématique. Or la question du travail du sexe est tellement sensible en milieu féministe, qu’à chaque fois que des putes essaient de prendre publiquement la parole pour défendre leurs droits, leurs adversaires politiques les décrédibilisent en insinuant qu’un « lobby » leur verse de l’argent. Genre, un lobby prostituteur. Comme si tous les proxénètes du monde entier, des bulgares aux nigérians, se tapaient dans la main et s’organisaient en un immense syndicat du crime pour prendre la décision collégiale de payer des putes militantes –de gauche voire d’ultra-gauche- pour aller causer dans les médias. Sérieusement ?

Perso à mon petit niveau, j’ai déjà vécu la même chose. Quand il y a mille ans j’ai commencé à causer féminisme pro-sexe à la télé, des groupes entiers de féministes racontaient qu’en fait je n’étais qu’une marionnette créée de toute pièce par l’industrie du porno. J’ai lu, texto, que j’étais « une invention de Marc Dorcel », un « cheval de Troie » (tiens, tiens, ça ne vous rappelle rien le cheval de Troie ?). Genre Marc était hyper pointu sur les « sex wars », connaissait par cœur la vie d’Annie Sprinkle, et était capable de réciter tous les concepts du « post-porn modernism ». D’ailleurs c’est lui qui a écrit Porno Manifesto. Ah non ce n’est pas lui, c’est Raphaël Sorin, c’est le Canard Enchaîné qui l’a dit (véridique). Allons, un peu de sérieux. 

Tout cela pour vous dire qu’à chaque fois qu’une pensée féministe est embarrassante, on la décrédibilise en prétendant qu’un groupe d’hommes tirent les ficelles dans l’ombre. Et le pire, c’est que cette théorie de « Y’a forcément un homme derrière » est parfois soutenue par… d’autres féministes. Ça craint, vraiment.

J’en reviens à Lallab, je pense que vous comprenez où je veux en venir. Quand j’entends qu’on accuse des féministes d’être les marionnettes d’un groupe d’hommes, forcément chez moi ça déclenche tous les signaux d’alerte. On m’a interpelée plusieurs fois en me disant que ce n’était pas possible, je ne pouvais partager « leur conception du féminisme » etc. Alors je vous arrête tout de suite : elles sont féministes et pour moi c’est suffisant. Probablement que parmi elles il y en a qui ne doivent pas être spécialement en accord avec ce qui touche au féminisme sexe-positif, tout comme perso je suis pas très fan de tout ce qui touche à l’influence des religions monothéistes sur les femmes. Mais concrètement, on n’en a rien à foutre d’être « fan » ou pas, du moment qu’on conserve le droit de faire chacune ce qu’on veut, qu’on ne s’exclue pas les unes des autres, et qu’on parvient à un minimum de sororité. Parce que, perso, ce ne sont pas mes ennemies, parce que je ne suis pas leur ennemie, parce que l’ennemi il est ailleurs, Bordel !, et qu’il ne faudrait pas le perdre de vue. On n’est pas là pour approuver les choix et/ou situations de chacune parce que justement la revendication à la base c’est d’être libre. « Oui mais la servitude volontaire ». Ah. Vous savez quoi, la servitude volontaire on a toute un moment où on plonge dedans et où on s’y enlise. Vous, moi, tout le monde. On fait ce qu’on peut, ok. Faut-il s’exclure pour autant du féminisme comme s’il s’agissait d’un club élitiste ? Nope justement, sinon le féminisme ne serait constitué que d’une poignée de militantes qui se complairaient dans l’entre-soi. Sinon le féminisme serait constamment parasité par des guerres de chapelle qui nous empêcherait de nous unir et… Oh… Wait !