Capture d’écran 2017-10-30 à 10.40.15Il y a quelques semaines, une équipe de l’émission Clique Dimanche diffusée sur Canal + était entrée en contact avec moi à propos d’une publicité pour un site d’escorting qui faisait rage en Belgique. Cette publicité, diffusée à proximité de l’Université Libre de Bruxelles, invitait les étudiantes à « améliorer (leur) style de vie » en « sortant » (sic) avec un « sugar daddy ».  Le site en question, RichMeetBeautiful, est en réalité une plateforme qui, comme tant d’autres, propose de mettre en contact des étudiantes avec des michetons un peu friqués qui attendent vraisemblablement des prestations économico-sexuelles (même si le créateur du site prétend le contraire). Jusque là, rien de nouveau sous le soleil. Non, le « sugar daddy » n’est pas « le nouveau visage de la prostitution » comme j’ai pu le lire. Il était déjà là, juste devant vous depuis le début, sous votre nez, simplement vous ne vouliez pas le voir, vous ne vouliez pas l’interroger. Parce que le sugar daddy c’est peut-être votre père, c’est peut-être votre mari, c’est peut-être cet homme politique qui va déplorer la prostitution estudiantine tout en y ayant recours.

En matière de travail du sexe, la Belgique est un pays règlementariste. Alors pourquoi cet affolement soudain ? Sans doute parce que tout cela révèle au grand jour une pratique professionnelle que personne n’a envie de voir. Il est tellement plus confortable de ne pas trop se poser de question, de ne pas imaginer que sa fille/sœur/amie tapine peut-être pour payer son master, et surtout de ne pas aborder la question de la précarisation de la vie étudiante. Parce que c’est cela la vraie question que nous renvoie en pleine figure cette publicité ambulante criarde à l’esthétique beauf : celle de la précarisation étudiante. 
Cette publicité a depuis été diffusée en France et a soulevé le même vent de fausses indignations. Dans un pays où on rogne sur les APL, on fait soudainement mine de s’offusquer parce que des étudiantes effectuent des prestations sexuelles contre de l’argent ou en échange d’un logement « gratuit ». À une époque où on flique les chômeurs, où les parents peuvent de moins en moins financer les études de leurs enfants, où les bourses sont compliquées à obtenir, où postuler pour le moindre job étudiant relève du parcours du combattant, où on réclame un bac +5 pour des boulots de merde sous-payés avec des emplois du temps incompatible avec les horaires de cours… Vraiment, cela vous étonne tant que cela ? Moi non.
Au lieu de se poser les bonnes questions, on fait mine d’être consternés, on chouine à la domination masculine qui de fait est là, tout le temps, partout, bien au-delà de la prostitution estudiantine. Faites fermer ce site si cela vous chante. Je n’ai jamais pu souffrir cette ubérisation du travail du sexe, ces plateformes basées dans des paradis fiscaux, tenues par des hommes en costards cravates  parfaitement respectés par l’ensemble de la société alors que les filles qui vont s’incrire sur leurs sites pour payer leurs études seront stigmatisées et considérées comme les dernières des salopes. Allez-y, vraiment, pourrissez-les, faites foirer leur business plan. Et surtout continuez à porter des œillères et à ne pas regarder en face ce qui vous dérange tant.
Oui ce site propose à des hommes riches de s’offrir un statut de « mentor classe », et à des étudiantes « d’apprendre aux côtés des sugar daddies, ces personnes de succès qui ont de l’expérience à revendre » (pour reprendre les termes employés dans leur présentation). Oui la jeunesse est une valeur marchande. Oui on demande aux femmes de ne pas être dans l’agir mais uniquement dans le paraître. Oui on éduque les hommes avec cette idée qu’il leur revient la fonction d’être des Pygmalion et d’initier leurs partenaires à la sexualité. Oui on vit dans une société pédophile où il est tout à fait dans l’ordre des choses pour une jeune femme de sucer la bite d’un sugar daddy. Oui il y a un inceste symbolique dans le fait de pousser la porte d’une chambre d’hôtel dans laquelle se trouve une escort qui pourrait être sa propre fille. Et tout cela existe en dehors de la prostitution, tout cela nous entoure au quotidien, de cet acteur hollywoodien quinquagénaire qui s’affiche avec une mannequin de vingt ans jusqu’à cette mère au foyer que je vois descendre de son 4X4 tous les matins devant l’école et dont le mari est gros et vieux. Sugar daddy, prostitution domestique, même combat. L’un vous choque, l’autre ne vous émeut pas. Ces étudiantes se font payer ? Et alors ? On ne va pas tout de même pas leur demander de sucer un vieux gratuitement ? Soyons sérieux. Une immense partie de nos relations hommes-femmes demeure fondée sur des rapports économico-sexuels et /ou économico-affectifs. Ne faites pas semblant de ne pas le voir. Oui cette publicité est sexiste, oui ce site est tenu par des maquereaux en costards, mais ne faites pas comme s’il s’agissait d’un « phénomène » apparu ex-nihilo. Cette publicité n’est que le reflet de notre société. Et il n’existe que parce qu’on refuse à ces jeunes femmes des conditions suffisamment décentes pour étudier.