Fruit-619-386Pornhub le clamait haut et fort dans son sixième bilan annuel 2018 révélé le mois dernier : la catégorie « lesbiennes » a continué d’en imposer en matière de porno gratuit, tandis que le jeu en ligne Fortnite dans ses versions X a trouvé son public. Mais derrière les gros chiffres et les buzz à coups de gilets jaunes, s’est dessinée une tendance qui parle (aussi) de notre société : les JOI, ou jerk off instructions, sortes d’accompagnement à la branlette en vidéo et grand classique du porn hétéro, renouvellent leurs intentions autant que leur apparence. Au programme : un échange des rôles, de l’audio et de la bienveillance…   

La poudre, les moineaux
L’exercice est ritualisé. La dame, en petite tenue, dans un environnement qui peut être la cuisine de son F3 ou plus probablement sa chambre, parle face caméra avec un sourire entendu. Elle va, dans une vidéo qui peut durer jusqu’à 30 minutes pour les plus audacieuses, donner ses « instructions » à l’homme qui la regarde pour l’amener à la jouissance. Payant parfois de sa personne, toys compris. Tout le truc pour la miss est de garder la main (pardon) sur le voyeur, dans une forme de edging – cette pratique sexuelle qui consiste à exciter son partenaire sans le faire jouir. Une performance sur le fil : je te titouille du mot et de l’image pour que tu ne zappes pas, mais pas trop non plus (la poudre, les moineaux…). Un rapport one to one qui n’est pas sans rappeler les cams. « Il y a une impression de lien direct, explique Mathias, 40 ans, qui regarde occasionnellement des JOI. La femme est seule et on est seul : un échange intime qu’on ne voit pas dans le porno classique. »

À fond dans la girl next door, donc. Mais une girl qui prend le pouvoir, qui te dit comment faire, à quel moment jouir. « C’est aussi cette domination qu’on vient chercher », explique Finn, 18 ans. « Ça permet de poser les obligations de la masculinité, confirme Mathias. On n’a pas la pression de donner du plaisir à la femme. C’est un accompagnement à la masturbation à sens unique, rien que pour moi. » Des propos post #metoo qui dénoncent une masculinité parfois écrasante – on pense forcément à l’insta Tu bandes.

Les JOI seraient donc les marqueurs de mecs hétéros qui se veulent mecs autrement et de nanas en mode boss ? C’est plus compliqué que ça en fait. Un peu comme l’époque que nous vivons. Une chose est certaine : l’apparition d’instructions à la masturbation valorisant l’émotionnel ouvre la pratique à un autre public. « Je n’adhère pas aux insultes et aux propos homophobes qui ponctuent pas mal de JOI, déplore Mathias. Je préfère ce qui est plus littéraire, quand on s’adresse à mon cerveau. »

Avec « honnêteté et sincérité »
Lélé O parle autant à la bite de ses spectateurs qu’à ce qu’ils sont en tant que personne. Mystérieuse  et délicate, cette « artiste du cul », comme elle se définit, propose ses vidéos à plein d’endroits du web, avec « honnêteté et sincérité ». Les hommes, elle les aime d’amour et avec empathie. D’ailleurs, si les rôles étaient inversés – si on lui donnait des instructions – elle aimerait qu’on soit sympa avec elle, rigole-t-elle. Aucune raison d’insulter l’autre, donc, « ce n’est pas [son] truc ».

Les JOI post #Metoo seraient-ils plus soft que leurs collègues tradi ? « Pas vraiment, explique Lélé O. Pour ma part, j’ai une offre hard, payante, et une offre gratuite où on a accès à mon cerveau plus qu’à mon corps. L’option gratuite crée une relation émotionnelle, des choses très fortes si j’en crois les messages que je reçois. » Du genre ? « Best orgasme de ma vie. » So mimi…

Dans une continuité bienveillante, Voxxx propose une offre de JOI en audio (une première ou presque en France) à un public féminin (bis). Développé par la réalisatrice féministe Olympe de G et Lélé O, la plateforme présente non plus des instructions à la masturbation, mais des invitations.  « On écrit pour que les choses arrivent progressivement, explique Olympe de G, pour qu’elles ne soient jamais ressenties comme des injonctions. » Le format audio ainsi que la très grande qualité de réalisation assurent un confort propice à la détente et à l’excitation. Les scénarios sont volontairement succincts, « l’auditrice va imaginer seulement des mains ou une bouche… Ce sont des situations érotiques quasi impossibles à produire en vidéo, mais que les auditrices vont facilement se figurer », continue Olympe. Bref, le JOI audio suggère et l’auditrice se fait son propre film. Et comme, le spectre de nos idées humides est large, on peut choisir des voix d’hommes ou de femmes qui « lisent, se branlent, dominent », complète Lélé O. Eh, ça donne pas envie de se faire une petite pause, là tout de suite ?