18609Tout est parti d’une conversation anodine : « Tu sais que le film porno qui cartonne le plus cette semaine c’est « Maison de retraite » ? J’ai d’abord cru à une plaisanterie, mais il n’en est rien.  Oublié le porno chic, la tendance du moment c’est le porno sénior. Tristan Arnould, responsable des acquisitions des programmes adultes chez Canal +, me confirme l’information, tableaux à l’appui : « À peine le film « Maison de retraite » a été mis en ligne sur la plateforme TVOD que déjà la semaine suivante il était numéro un de notre classement. D’ailleurs actuellement dans notre top 5 nous avons également « Cougars à défoncer », « British cougars » et « Ça va chez ma belle-mère ». Et rien que ça représente 8% du chiffre hebdo de l’ensemble de la section adulte en ligne. Et si je regarde bien mes rapports, je vois que la semaine précédente c’était « Vieille ouverte » qui était number one. Je n’ai pas les chiffres de l’année entière sous le nez, je ne sais pas si c’est représentatif à long terme. Mais déjà, lorsque je suis arrivé chez Canal en 2007 à l’époque du Pay per View (ndlr : de la chaîne Kiosque, qui n’existe plus), on me parlait de la rentabilité folle des films de Pierre Moro, réalisateur spécialisé dans les femmes très matures. Un des films les plus rentables du service était à ce moment-là « Mes voisines moches et cochonnes. » 

Mais concrètement, à quoi ressemble le porno sénior ? S’agit-il d’une niche très codifiée ? Je brûle soudainement de découvrir le synopsis de « Maison de retraite ». Tristan n’est pas en charge du visionnage, il me renvoie donc vers « A. », qui contrôle approximativement 200 films par mois afin de veiller au respect de la charte juridique et qualitative des différents diffuseurs. Déception, « A. » ne se souvient déjà plus de l’histoire : « Tu sais j’en vois des centaines, quand je rentre chez moi je fais un grand nettoyage de mon cerveau… Il n’y a en général pas vraiment de scénario, c’est assez limité niveau mise en scène, très « amateur » dans l’état d’esprit. En fait c’est surtout l’inter-générationnel, voir des jeunes avec des vieux, qui intéresse les gens. Le porno sénior, c’est surtout des vidéos avec des femmes matures qui se tapent des jeunes hommes de 20 ou 30 ans. C’est très rare que des acteurs âgés baisent entre eux. C‘est valable également pour les vidéos dites teens : ce sont souvent des hommes vieux qui baisent avec des très jeunes femmes. Moi je ne suis pas là pour donner mon avis personnel, je ne fais sauter ces vidéos que si je les estime violentes ou humiliantes. D’ailleurs les vidéos de porno sénior sont rarement violentes. C’est pas non plus de la super douceur, mais tu ne vois quasiment jamais de gifle alors que c’est devenu banal dans le reste du porno. Ce n’est pas le cas par exemple des vidéos qu’on nous envoie avec des femmes en surpoids et qu’on fait délibérément morfler. Comme si on leur faisait payer leur excédent de chair, comme si ça justifiait une forme de déchaînement. Souvent je les fais interdire. »
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Ni Tristan ni « A. » n’envisagent la possibilité que le porno sénior soit consommé par une population jeune qui aimerait espionner les ébats de Papa et Maman, voire de Papy et Mamie. Les clients de leur plateforme TVOD sont généralement assez âgés. D’ailleurs il n’y a guère plus que cette génération qui continue à louer des films et qui accepte de payer pour du porno. Pour « A. », c’est aussi une question de rythme et de temporalité. Les séniors ne sont pas encore conformés à l’immédiateté d’internet, ils acceptent plus facilement de prendre leur temps : « Le fait de payer s’inscrit dans une démarche, ils choisissent véritablement leur film, ils ne prennent pas juste une vidéo rencontrée au hasard sur un site de streaming. Ils savent ce qu’ils veulent, et ils aiment s’installer confortablement devant leur télé, regarder le programme en entier et se donner du plaisir. D’ailleurs chez nous on constate que la VOD sur PC ne fonctionne pas bien comparé à nos chiffres sur télé. Les jeunes générations veulent de la gratuité, leur temps d’attention est limité, ils zappent d’une vidéo à une autre. D’ailleurs souvent les plus jeunes n’ont même pas la télé. Ce n’est pas du tout le même mode de consommation. »

Et effectivement, lorsqu’on regarde les rapports de mots-clés les plus recherchés sur les sites de streaming gratuit, on se rend compte qu’à l’exception des allemands qui semblent attirés par le tag « granny » (grand-mère), les vidéos séniors sont peu nombreuses comparé à l’immensité de l’offre proposée. Des vidéos avec des « milfs » de trente ou quarante ans, oui, mais pas au-delà. Mais alors, une question me turlupine. Si le porno sénior cartonne tant, comment se fait-il que si peu de labels en proposent ? En France, à l’exception de Pierre Moro et de H.P.G., rares sont les producteurs qui acceptent de s’y frotter. La sexualité des séniors serait-elle encore taboue, y compris dans le porno ? 
« L’industrie du porno s’est vachement focalisée sur les teens, or quand on a 60 ou 70 ans on se projette difficilement dans ce type de vidéos. Je pense que beaucoup d’hommes ont besoin de ce dire que cette femme sur leur écran pourrait être leur femme, leur voisine, leur amie, leur cousine… Et pour les femmes de cet âge-là c’est pareil, elles veulent pouvoir s’identifier à l’actrice, se projeter dans la scène. Quand on a 60 ans on n’est pas censé s’identifier à une actrice de 25 ans. Sur 100 films qu’on va recevoir, y’en a 90% qui ne concernent pas les séniors en fin de compte. La pornographie renvoie souvent une image très standardisée, avec des normes. Mais on s’intéresse très peu à ce que veut le public quand on y pense bien. Si on s’intéressait plus à ce que cherchent les gens, on aurait plus de diversités. Nous on se rend compte, chiffres à l’appui, que les gens sont prêts à payer pour cette diversité. En France la population est vieillissante, ce sont des personnes de plus en plus âgées qui consomment. Paradoxalement, dans les productions les teens sont de plus en plus teens, les milfs sont de plus en plus jeunes. C’est la première fois qu’on se rend compte que pas mal de productions sont déconnectées de la réalité, comme si elles ne comprenaient plus le monde qui les entoure. »